(Mythologie) monstre moitié homme, moitié taureau, qui était le fruit d'un infâme amour de Pasiphaé.... Je m'arrête ici, car personne n'ignore ce que la fable raconte du Minotaure, de Neptune, de Pasiphaé, de Minos, de la guerre qu'il soutint contre les Athéniens, de son fils Androgée, de Thesée, de Dédale et du labyrinthe de Crète ; on sait dis-je par cœur, toutes ces fictions fabuleuses, mais on ne sait pas assez les faits historiques, qui leur ont donné naissance. Exposons-les en peu de mots.

Pasiphaé femme de Minos II. roi de Crète, avait pris de l'inclination pour Taurus, que quelques-uns font l'un des secrétaires de Minos, et d'autres l'un de ses lieutenans généraux ; Dédale favorisa leurs amours, il leur procura la liberté de se voir, il leur prêta même sa maison. Pasiphaé étant accouchée d'un fils, que les auteurs nomment Astérius ou Astérion, comme le père en était incertain, et qu'on pouvait croire ce fils de Taurus, aussi-bien que de Minos, on l'appela Minotaure.

Dédale, complice des amours de la reine, encourut l'indignation de Minos, qui le fit mettre en prison ; Pasiphaé l'en tira en lui faisant donner un vaisseau, où Dédale s'étant embarqué, pour échapper à la colere du roi et à la flotte qui le poursuivait, il s'avisa de mettre une voîle et des vergues ou antennes au bout d'un mât ; Icare sur un autre bâtiment, ne sçut pas le gouverner, il fit si bien naufrage, que le flot ayant porté son corps dans une île proche de Samos, Hercule qui s'y trouva par hasard, lui donna la sépulture. Voilà tout le fondement de la fable de Pasiphaé, qui s'enferme dans une vache d'airain, pour avoir commerce avec un taureau ; de-là la naissance de ce monstre qui a fait tant de bruit sous le nom de Minotaure, et du prétendu secret que trouva Dédale, de fendre l'air avec des ailes comme un oiseau.

Minos aurait passé pour un des plus grands princes de son temps, sans la malheureuse aventure qui troubla la paix de ses états, et ternit sa réputation. L'envie qu'il eut de vanger la mort de son fils Androgée, tué dans l'Attique par la faction des Pallantides, lui fit déclarer la guerre aux Athéniens, dont il ravagea le pays. Le tribut qu'il leur imposa attira Thesée dans l'île de Crète, où après la défaite du Minotaure, il enleva la belle Arianne.

Enfin les désordres de Pasiphaé ayant éclaté, mirent le comble aux malheurs domestiques de Minos. Il poursuivit Dédale en Sicile, où regnait Cocalus ; mais les filles de ce monarque, touchées du mérite de Dédale, concertèrent de lui sauver la vie, aux dépens de celle de Minos. Un jour que ce prince était dans le bain, elles lui firent mettre l'eau si chaude, qu'il y fut suffoqué ; et sa mort passa pour naturelle.

Ainsi périt dans une terre étrangère Minos II, qui aurait tenu une place honorable dans l'histoire, sans la haine qu'Athènes avait conçue contre lui ; tant il est dangereux, dit Plutarque, d'offenser une ville savante qui a, dans les ressources de son esprit, des moyens de se vanger. La mémoire de Minos était odieuse aux Athéniens, à cause du tribut également cruel et humiliant qu'il leur avait imposé. Les autres grecs embrassèrent leur cause, pour travestir l'histoire de Minos, et la crayonner des couleurs les plus noires.

Les poètes ensuite, qui ne prenaient aucun intérêt à Minos, ne manquèrent pas d'employer la fable inventée et accréditée par les Athéniens, comme une matière qui pouvait leur fournir de belles peintures, et même de grands sentiments ; témoins ces vers de Virgile.

Hic crudelis amor tauri, suppostaque furto

Pasiphae, mistumque genus, prolesque biformis

Minotaurus inest, veneris monimenta nefandae.

Aeneid. lib. VI.

Et ces autres où il parle d'Icare :

Tu quoque magnam

Partem opère in tanto, sineret dolor, Icare, haberes,

Bis conatus erat casus effingère in auro,

Bis patriae cecidere manus.

Je supprime à regret, les ingénieuses descriptions d'Ovide ; car quoi qu'en disent quelques modernes, la fable, la fiction, et tout ce qui est du ressort de l'imagination, sera toujours l'âme de la Poésie. Le prétendu esprit philosophique, dont on s'applaudit tant aujourd'hui, a beau rejeter ces ornements, ils seront toujours précieux aux grands poètes ; et ceux qui veulent qu'en vers la raison parle toujours à la raison, montrent par-là même qu'ils n'ont ni la connaissance, ni le talent de la vraie poésie.

Les innocens mensonges dont Homère, Virgile, le Tasse et l'Arioste, ont rempli leurs poèmes, plaisent à tous ceux qui ont quelque goût ; et ne trompent personne, parce qu'on doit les regarder comme des peintures ingénieuses, des allégories, ou des emblèmes, qui cachent quelquefois un fait historique ; quelquefois aussi

Le doux charme de maint songe,

Par leur bel art inventé,

Sous les habits du mensonge

Nous offre la vérité.

(D.J.)